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  • Conte de Noël offert par Philippe Bédard

     LE NOËL DE RAFFA

     

     

    Durant mon enfance, je fréquentais le Patro Saint-Vincent, maintenant disparu, sur la Côte d’Abraham.  Les frères de Saint Vincent-de-Paul, qui s’occupaient de remplir de jeux et d’activités nos journées de congé et celles des vacances d’été, possédaient un art très spécial. Le don de raconter de longues histoires. Je vous parle des années autour de 1940. Le cinéma n’avait pas encore produit les beaux films que nous avons maintenant. Il faudrait attendre encore une dizaine d’années avant que naisse le petit écran. On devait se contenter d’histoires racontées auxquelles nos imaginations ajoutaient des décors et créaient des héros.

     

    Chaque jour, après avoir joué jusqu’à trois heures de l’après-midi, ils nous réunissaient dans une grande salle. Nous devions être près de deux cents, assis sur des estrades de bois.  Tout à coup, un retentissant son de cloche. À part un avertissement d’incendie, rien n’aurait pu rompre le silence que suspendrait une longue histoire qui allait s’étirer et durer pendant deux mois.  Après Les Contes du lundi de Daudet, on aurait pu dire Les « Contes de l’après-midi des frères du Patro ».

     

    Il arriva, un mois de décembre, qu’une tempête de neige avait persisté pendant trois jours et même fermé les écoles. Cela nous avait privés de jouer au hockey, le samedi suivant. La neige abondamment accumulée et durcie par le vent,  nous avait astreints à dégager la patinoire sans même pouvoir y jouer.  Nos petits bras, pas encore bien musclés, étaient épuisés d’avoir pelleté jusqu’à trois heures de l’après-midi.  Seule, la pensée de terminer cette éprouvante journée avec une histoire avait maintenu notre courage. Et c’est alors que le frère Bérubé nous présenta son conte de Noël.

     

    Cette année-là, c’est à lui que la communauté avait confié la réalisation de la crèche dans la grande chapelle et c’est à cet endroit qu’il nous avait réunis. Cela n’aurait pas été possible durant les vacances de l’été mais, durant l’année scolaire, nous étions beaucoup moins nombreux à fréquenter cette institution. Il faut dire que notre surprise fut grande car, à part les messes, il ne se passait rien d’autre, dans ce lieu sacré rempli d’un silence religieux, que seules les voix du prêtre et de la chorale pouvaient rompre.

     

    Nous pénétrâmes donc dans la chapelle toute hantée d’ombres qu’animaient quantité de lampions qui priaient aux pieds des statues endormies dans les ténèbres.  Il nous fit asseoir devant la crèche déjà achevée.  À ce moment, nous étions un peu déçus.  On présumait qu’il raconterait l’histoire de la nativité de Jésus.  Une histoire qu’on nous avait tant de fois répétée donc dépourvue de l’habituel suspens  qui nous ligotait pendant habituellement.

     

    Ce jour-là, sa voix n’avait pas la même tessiture et ses yeux, ses gestes semblaient soulever comme des flocons de neige dessinant des images dans la voûte sombre.  Plus il parlait, plus les personnages s’animaient dans nos petites têtes.  Marie et Joseph étaient vraiment en adoration devant l’Enfant-Jésus.  On imaginait même la chaleur de

    l’haleine du bœuf et de l’âne. Seuls les mages et leurs chameaux demeuraient distants et sans mouvements car, c’est des bergers qu’il ne cessait de nous parler, de nous les décrire dans leur attitude toute simple. Et, parmi ceux-ci, il se mit à raconter l’histoire  de celui qui tenait un petit mouton dans ses bras repliés.

     

    Ah! ce petit berger! Ce tout petit berger! Sans le vouloir, il allait créer tout un émoi.

    Imaginez que, de retour à leurs pâturages, mystifiés par ce qu’ils avaient vu, incapables de trouver le sommeil, les bergers avaient passé le reste de la nuit à échanger sur ce qui leur était arrivé: l’étoile au-dessus de la grotte, les anges qui chantaient dans le ciel, l’âne et le bœuf près d’un petit bébé…  Personne ne s’inquiétait des moutons ni des petits pâtres qui, eux,  sommeillaient sous un ciel piqué d’étoiles comme jamais auparavant.  Enfin, l’un après l’autre, avec des sourires d’ange sur leurs visages remplis de rêves célestes,  les adultes s’étaient assouplis à leur tour. Ce n’est que le lendemain matin,  qu’ils constatèrent avec étonnement que le petit Raffa manquait. On s’inquiéta. On fit le tour des champs.  On fouilla dans les buissons. Impossible de le retrouver.

     

    L’inquiétude collective inventa alors mille hypothèses, toutes un peu confuses comme l’était demeuré le souvenir de la dernière nuit.  S’était-il égaré sur le chemin du retour sans qu’on s’en aperçoive? Un loup l’aurait-il attaqué et traîné quelque part; dévoré peut-être? S’était-il simplement endormi sur le bord de la route?  Il fut convenu de prendre à rebours le chemin de la grotte, de chercher derrière les arbustes et d’interroger les gens qu’on rencontrerait. Le soleil montait toujours. La fatigue et le désespoir s’installaient et on ne voyait pas le petit Raffa. 

     

    Lorsque, de loin, ils aperçurent de nouveau la grotte,  ils n’avaient plus aucun espoir de retrouver le retrouver.  Ils avaient parcouru tout le chemin, épiant les plus petits recoins, scrutant attentivement le plus loin qu’ils pouvaient dans les champs, descendant dans les ravins…leurs recherches étaient restées vaines.  Avant de retourner chez eux, ils décidèrent quand même de faire une autre visite à ce couple et l’enfant dans la grotte. 

     

    Là, comment exprimer leur surprise.  Le petit Raffa était assis sur les genoux de Marie qui lui parlait en riant alors que l’Enfant-Jésus dormait doucement, emmailloté dans des langes blancs. Raffa s’aperçut à peine de leur arrivée.  De toute évidence, il n’était pas conscient de l’émoi qu’il avait causé  et des recherches désespérées qu’il avait occasionnées. 

     

    Marie qui leur apprit que, pendant qu’ils étaient tous à contempler l’Enfant-Jésus, Raffa avait retiré du feu un tison refroidi et, sur une pierre longue et plate, il s’était mis à dessiner son portrait. « Regardez, comme c’est bien fait », leur dit-elle. Personne ne savait comment réagir à ce qu’ils voyaient : Raffa sur les genoux de Marie, son portrait ressemblant sur la pierre…Était-ce un rêve?

     

    Le père et la mère de Raffa, sûrement les plus heureux du groupe parce qu’ils avaient retrouvé leur enfant, se mirent à rire, à serrer la main de Joseph, à parler à Marie.  « Nous avons un peu de nourriture dans nos besaces, dit le père.  Accepteriez-vous de manger avec nous car la faim nous est revenue et vous n’avez peut-être pas de nourriture ici?»

     

    Et le frère Bérubé nous affirma alors que jamais on retrouverait cette belle histoire dans la Bible.  Peut-être parce qu’elle est trop belle, trop merveilleuse pour y croire.  Mais, laissez-moi vous dire qu’elle eut une suite, quinze siècles plus tard.  La légende veut qu’en 1483,  l’âme du petit Raffa fut réincarnée dans le corps d’un petit enfant né dans la petite ville d’Urbino, en Italie.  Ses parents n’auraient pu deviner quel cadeau le Ciel leur envoyait, à l’humanité tout entière aussi.  Et comment expliquer la coïncidence; les parents l’appelèrent RAPHAËL.

     

    Chose surprenante encore, tout jeune, il manifesta un talent extraordinaire pour le dessin.  Son père le confia à un grand maître et il devint l’illustre peintre Raphaël dont   les plus grands musées du monde conservent les chefs-d’œuvre et, parmi elles, de nombreuses toiles représentant la Madone.

     

    Il devint le peintre officiel des papes Jules II et Léon X  qui confièrent à son talent, la décoration de plusieurs salles du Vatican. C’est à ce moment qu’il se lia d’amitié avec les géants  de la Renaissance comme Michelangelo et Léonard de Vinci….

     

    Ainsi s’acheva le conte de Noël du frère Bérubé, ce 23 décembre.  On n’avait jamais entendu un aussi bon conte de Noël.  On est retourné à nos demeures et je suis certain que, comme moi, mes compagnons, n’ont jamais plus vu la crèche de leur église de la même façon.

     

    Philippe Bédard


     

     

     

     

     

     

     

     

  • Quelques phrases d'André Trannoy

    Une phrase glanée à la lecture de son livre : Risquer l'impossible

    Que je vous recommande... demandez à votre délégation de vous le prêter et prenez-en bien soin, c'est la Bible de l'APF !


    Notre libération s’est amorcée en France par des cahiers de correspondance, les Cordées, qui entretenaient les liens noués en Suisse. Cordées auxquelles s’attachèrent ensuite les camarades d’hospices en particulier. Nous y mettions en commun expériences et déboires. Quelque chose de nous-mêmes, enfin, franchissait les murs de notre cellule, avivant notre soif du monde extérieur, notre détermination de ne pas nous laisser cadenasser dans nos chaumières.

    André Trannoy

  • La légende de l'âne et du puits

    Un jour, l'âne d'un fermier est tombé dans un puits. L'animal gémissait pitoyablement pendant des heures et le fermier se demandait quoi faire.
    Finalement, il a décidé que l'animal était vieux et le puits devait disparaitre. De toute façon, ce n'était pas rentable pour lui de récupérer l'âne.
    Il a invité tous ses voisins à venir l'aider. Ils ont tous saisi une pelle et ont commencé à boucher le puits.
    Au début, l'âne a réalisé ce qui se produisait et se mit à crier terriblement. Puis, à la stupéfaction de chacun, il s'est tu.
    Quelques pelletées plus tard, le fermier a finalement regardé dans le fond du puits et a été étonné de ce qu'il a vu.

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    Avec chaque pelletée de terre qui tombait sur lui l'âne faisait quelque chose de stupéfiant : il se secouait pour enlever la terre de son dos et montait dessus.
    Bientôt, chacun a été stupéfié que l'âne soit hors du puits et se mit à trotter !

    La vie va essayer de vous engloutir de toutes sortes d'ordures. Le truc pour se sortir du trou est de se secouer pour avancer.
    Chacun de nos ennuis est une pierre qui nous permet de progresser.
    Nous pouvons sortir des puits les plus profonds en n'arrêtant jamais. Ne jamais abandonner ! secouez-vous et foncez !

    Rappelez-vous ces cinq règles simples pour être heureux :

    1. Libérez votre cœur de la haine.
    2. Libérez votre esprit des inquiétudes.
    3. Vivez simplement.
    4. Donnez plus.
    5. Attendez moins.

     

    Auteur inconnu

     

     

  • Publication de Anne-Cécile Mouget

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    A 36 ans, Jérôme, paraplégique, est heureux de quitter le giron maternel et de s'installer chez lui, dans son propre appartement. Un chez lui aménagé à son goût afin de ne surtout pas ressembler aux chambres d'hôpital où il a passé bien trop de temps depuis l'accident survenu peu avant ses 15 ans... un chez lui adapté pour s'y débrouiller avec son fauteuil roulant.

    Il ne mesure pas combien cette décision va changer sa vie... lui offrant de rencontrer, après des années de solitude, une jeune femme capable de l'aimer simplement pour ce qu'il est. En effet, à l'étage du dessus vit Clémence et son chat Lulu. C'est Lulu et sa tendance à s'inviter chez Jérôme qui va les rapprocher peu à peu. Mais il n'est pas facile d'accepter l'amour quand on est handicapé, qu'on dépend d'un seul bras, et des autres, pour se transférer, se déplacer et vivre sa vie. Jérôme, résigné dans une carapace d'autodérision et d'irritabilité, laissera-t-il la tendresse et la spontanéité de Clémence venir à bout de ses réticences ? 

    Les facéties de Lulu et leurs conséquences imprévues seront sûrement bienvenues...

    lien vers le livre :

    http://www.thebookedition.com/le-chat-de-la-voisine-anne-cecile-mouget-p-79904.html

     

     

  • Le Gâteau de paix

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    Le gÂteau de paix
    Il y a fort longtemps, une femme pleurait, seule dans sa petite maison. Elle s’appelait Mona et elle pleurait parce que son Paolo avait été envoyé à la guerre. À travers ses larmes, Mona regardait la photo de son fiancé, et elle repensait à tout le mal qu’elle s’était donné.
    C’est elle qui lui avait souri dans la rue. Elle, qui lui avait adressé la parole, quelques jours plus tard. Elle, encore, qui l’avait invité à prendre le thé dans sa petite maison. Elle, toujours, qui avait cherché une recette de ce gâteau. Mais quel succès ! Après la première bouchée, Paolo l’avait dévisagée, et la flamme de l’amour s’était allumée dans son regard.
    Il faut dire que ce n’était pas un gâteau ordinaire. Non, c’était un Gâteau d’Amour dont Mona avait trouvé la recette dans un vieux grimoire de la bibliothèque municipale.
    Tout d’un coup, elle bondit de sa chaise.
    « S’il existe des recettes de Gâteaux d’Amour, se dit-elle, il y a sûrement des recettes de Gâteau qui Ramène les Amoureux à la Maison ! » Vite, Mona attrapa son manteau, son parapluie, et elle se rendit à la bibliothèque municipale.
    Mona passa la journée penchée sur de poussiéreux livres de cuisine, de magie et même de sorcellerie. Hélas, nulle part elle ne trouva la moindre recette de Gâteau qui Ramène les Amoureux à la Maison.
    De temps en temps, une bombe tombait, non loin, et la vénérable bibliothèque tremblait jusqu’au plafond.
    Mais Mona n’était pas fille à renoncer aussi facilement. Le lendemain, elle retourna à la bibliothèque ; à force de lire et de réfléchir, à force de cogiter et de gribouiller sur son carnet, elle finit par inventer une recette. La recette d’un gâteau qui pourrait peut-être bien arrêter la guerre. Oui, rien que ça.
    Son panier sous le bras, Mona partit aussitôt chercher les quatorze ingrédients nécessaires à la préparation de son fameux gâteau. Sept se trouvaient de ce côté-ci de la frontière, pas de problème. Mais les sept autres poussaient uniquement dans le pays ennemi... À l’abri derrière leurs volets, les villageois la regardaient s’éloigner.
    « Qu’est-ce que cette folle de Mona trafique encore ? » se demandaient-ils.
    Le cœur battant, Mona se glissa sous les fils barbelés de la frontière. Elle était désormais en territoire ennemi. À tout moment, elle pouvait être arrêtée et jetée en prison. Des coups de feu retentissaient dans le lointain. Vite, Mona rassembla les fruits rouges, les graines et les herbes aromatiques dont elle avait besoin. Soudain, elle sursauta : derrière les arbres, quatre petits, les yeux agrandis par la peur, l’observaient.
    Doucement, tout doucement, Mona s’accroupit.
    Mona et les enfants se regardaient, et les secondes, les minutes passaient. Mona restait immobile, de crainte qu’un geste maladroit ne les fasse s’enfuir. Parfois les enfants échangeaient quelques mots entre eux, dans une langue que Mona reconnaissait sans la comprendre. La langue des ennemis. Soudain le ventre des petits se mit à gargouiller. Cette fois, Mona comprit très bien ce que cela voulait dire.
    Elle sourit, et doucement, tout doucement, elle leur lança les framboises qu’elle avait cueillies. De framboise en framboise, de sourire en sourire, Mona ramena les enfants jusqu’à la frontière, puis jusque dans sa petite maison. Avec des dessins et des gestes, les petits expliquèrent que leurs parents étaient morts au tout début de la guerre et que depuis, ils fuyaient, fuyaient, fuyaient...
    Les dessins et les gestes firent place aux larmes. Mona les prit alors dans ses grands bras, elle leur chanta une berceuse de son pays et les coucha dans son vaste lit.
    Le lendemain, Mona et les petits commencèrent à préparer le gâteau.
    Les voisins les observaient, incrédules. C’était la guerre, et Mona utilisait toutes ses réserves de nourriture pour faire un gâteau. Comme si c’était le moment ! Et ces enfants, qui étaient-ils ? D’où sortaient-ils ? Il allait falloir ouvrir l’œil.
    Les dix mains mélangeaient les quatorze ingrédients du gâteau.
    De temps en temps, un enfant portait un doigt à sa bouche et souriait. Les autres l’imitaient et souriaient eux aussi.
    Mona laissa la pâte reposer, puis elle l’enfourna en pensant très fort à son Paolo.
    Trois heures plus tard, Mona sortit une petite chose noire et rabougrie du four. C’ÉTAIT RATÉ ! Elle avait mis tous ses espoirs dans ce gâteau, et c’était complètement raté. Mona était comme morte, incapable de faire le moindre geste, de prononcer le moindre mot. Les enfants la prirent par la main. À leur tour, ils lui chantèrent une berceuse de leur pays et la couchèrent.
    Un étrange parfum chatouillait les narines des petits pendant leur sommeil. Ils avaient beau se frotter le nez, se retourner dans le lit, le parfum entrait dans leurs poumons, circulait dans leurs corps.
    Une fillette finit par se réveiller, elle se redressa, et écarquilla les yeux. La petite chose noire et rabougrie était devenue un vrai gâteau. Il fallait juste le laisser tranquillement s’épanouir à sa sortie du four, rien de plus. Mais la fillette n’était pas au bout de ses surprises. Dans la cuisine, le gâteau gonflait, gonflait…
    Vite, elle secoua Mona toujours endormie.
    Le temps que Mona enfile sa robe, le gâteau avait encore gonflé. Sans perdre une seconde, Mona l’installa sur une carriole avec l’aide des enfants puis, tous ensemble, traversèrent le village. Le parfum du gâteau se répandait dans les rues, réveillant maisons et leurs habitants.
    Mona, les enfants et le gâteau sortirent du bourg. Ils longèrent des forêts noires, des champs morts, des rivières éteintes. Ils approchaient du champ de bataille. À bonne distance, les villageois les suivaient. Ils ne savaient pas quoi, exactement, mais ils comprenaient qu’il se passait quelque chose d’important.
    Le gâteau, les soldats le sentirent, d’abord. Le nez au vent, ils cherchaient d’où venait ce merveilleux parfum. Puis ils le virent, énorme, majestueux, apporté par une femme et quatre enfants qui le déposèrent sur le champ de bataille et repartirent.
    Complètement éberlués, les soldats regardaient cette brioche qui ne cessait de grossir. « Et si c’était un piège ? » se demandaient-ils. Mais comment un piège pourrait-il sentir aussi bon ? Ces combattants qui avaient vécu si longtemps dans la barbarie et le fracas des armes, en avaient soudain les larmes aux yeux.
    Comme hypnotisés, les militaires se levèrent et s’approchèrent.
    Plus ils avançaient, plus le gâteau embaumait. Les plus hardis le touchèrent... Mmm, il était encore chaud ! Un soldat en arracha un morceau, le porta à ses lèvres... Mmm, que c’était bon ! Ça ne ressemblait à rien de ce qu’il avait mangé ; ça avait un goût d’ailleurs, et en même temps, ça lui rappelait les bonheurs de son enfance.
    D’autres soldats se servirent à leur tour. Des deux côtés, sans se voir, les soldats dévoraient le gâteau de Mona, et peu à peu, la colère et la haine les abandonnaient. Les soldats avaient maintenant fini le gâteau.Repus, épanouis, ils se regardaient. Certains souriaient, d’autres posaient leurs armes à terre, ne sachant même plus pourquoi ils s’étaient battus.
    Mona sortit alors de sa cachette et alla chercher son Paolo.
    D’un peu partout, des femmes, des mères, des enfants surgirent à leur tour de derrière un arbre et vinrent chercher un mari, un fils ou un père. Et bientôt, il n’y eut plus personne sur le champ de bataille. Bref, la guerre était terminée.
    Depuis cette histoire, des deux côtés de la frontière, on mange ce gâteau fait avec les saveurs des deux pays. Et depuis, des deux côtés de la frontière, on a appris à se connaître et à s’aimer.
    Mona et Paolo ont adopté les petits, ces enfants que Mona avait ramenés sous les bombes avec des framboises et des sourires. C’est pourquoi il y a toujours une framboise sur le Gâteau de Paix... Et c’est aussi pourquoi on a toujours le sourire quand on le savoure.
    Didier Lévy
    Le gâteau de paix
    Paris, Éditions Sarbacane, 2004

  • Contez-moi

    La course de Sébastien


    Ce jour-là, tous les animaux des alentours s'étaient rassemblés dans la clairière.

    Sébastien, le lapin le plus fier et le plus rapide de la planète, avait une fois de plus provoqué un de ses voisins à la course. Comme chaque fois, il avait gagné et, comme chaque fois, l'enjeu était : « on-demande-ce-qu'on-veut-au-perdant ». Cette fois-ci, Sébastien avait réclamé un plein panier de carottes.

    Sébastien alla s'allonger dans un petit coin tranquille pour grignoter ses carottes. Il poussa un soupir de bien-être : « Aaah, c'est ça la vie ! ».

    « En es-tu bien sûr ? » fit une voix qui venait du fond de la terre. « Crois-tu vraiment que la vraie vie consiste à remporter des courses en humiliant tes voisins ? » lui demande la tortue.

    « Mais, Madame Laterre, comment donc ferais-je pour manger, boire et m'habiller si je n'avais pas les courses ? De toute façon, vous êtes bien mal placée pour me faire la leçon, vous qui dormez jour et nuit à attendre que passent les saisons. »

    « Tu te trompes grandement : je me déplace bien plus que toi ! ».

    « On fait la course alors ? » la provoqua Sébastien.

    « Je relève le défi et propose comme enjeu que l'on demande au perdant ce que l'on veut. »

    « Topez-là, Madame Laterre. Je vous laisse même une heure d'avance », dit Sébastien, grand seigneur.

    Il se prépara quelques belles carottes et une gourde de ce délicieux cocktail de fruits que lui procurait Victor, le chien de la ferme. Puis, sûr de la victoire, il se mit à courir. Et il courut, courut, courut... jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus.

    Quand il s'arrêta, il avait parcouru des milliers de kilomètres. À ses pieds s'étendait une immense étendue d'eau. Chez lui, il y avait un petit ruisseau dans lequel les autres se baignaient. Mais vous imaginez le roi de la course patauger dans l'eau ? Quelle honte !

    Cette fois pourtant, il avait tellement chaud et la mer était si belle que Sébastien se déshabilla et plongea dans l'eau. Il se dit que c'était agréable et qu'il aurait peut-être dû se baigner avec les autres animaux. Mais c'était un si petit ruisseau, alors que lui pouvait nager dans cette mer immense...

    Il attendit Madame Laterre en mangeant quelques carottes. Il patienta longtemps, puis l'appela. En vain. Il décida alors de faire la sieste... Sébastien dormit très longtemps. Quand il se réveilla, Madame Laterre n'était toujours pas là.

    Alors, il cria : « Vous voyez, j'ai gagné ! ».

    Mais, de très loin au-delà des flots, une voix profonde lui répondit : « Ttttt ! Ça, c'est ce que tu imagines, fier lapin. Mais je suis déjà de l'autre côté ! »

    Sébastien n'en crut pas ses oreilles. Madame Laterre était de l'autre côté de la mer ! Comment faire pour traverser cette immensité d'eau ? Il se souvint alors que les chats avaient un jour construit un radeau pour descendre le ruisseau. Il avait refusé de les aider. Erreur ! Il rassembla ses souvenirs : des branches liées avec de la corde... C'était bien cela ! Il ajouta un mât et mit le radeau à l'eau. Sébastien se mit à ramer. Il rama, rama, rama jusqu'à la terre ferme. Puis il mangea ses dernières carottes et se remit à courir. Il courut, courut, courut... jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus.

    Il se laissa tomber de tout son long et regarda autour de lui. Tout ce sable, toute cette lumière : il n'avait jamais rien vu de pareil. Quelle chaleur ! Il était mort de soif. Il prit sa gourde : vide ! Il s'approcha d'un puits et regarda dedans. Il contenait une eau brunâtre, plutôt dégoûtante. Sébastien pensa alors à ceux qui, chez lui, buvaient l'eau des flaques. Beurk ! Il puisa tout de même de l'eau et remit sa gourde.

    Ensuite, il s'installa pour admirer le magnifique paysage et attendre sa concurrente. Finalement, c'est grâce à elle qu'il découvrait toutes ces merveilles. Il ferma les yeux en souriant et s'endormit. Il dormit très longtemps. Quand il se réveilla, Madame Laterre n'était toujours pas là.

    « Ne te fatigue pas ! », cria-t-il. « J'ai gagné ! ».

    Mais, de très très loin au-delà du désert, une voix profonde lui répondit : « Ttttt ! C'est ce que tu crois, fier lapin. Je suis là, au pays des neiges éternelles. » Sébastien était abasourdi : Madame Laterre était vraiment une redoutable adversaire !

    Plus question de s'endormir ! Sébastien se remit en route. Il courut, courut, courut jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Quand il s'arrêta, il avait parcouru des milliers de kilomètres. Le spectacle qui s'offrait à lui lui coupa le souffle. Il n'avait jamais rien vu d'aussi grand, d'aussi blanc... Qu'est-ce qu'il faisait froid ! Comment faire pour allumer un feu ? Déjà, il ne sentait plus ses pattes. Sébastien ferma les yeux et pensa très fort à chez lui pour se réchauffer un peu.

    Il pensa à son voisin, Joseph le renard. À Léon le sanglier, dont il se moquait souvent. À Marcelle, la jolie petite marte qu'il poursuivait dans les bois. À Gaston le héron, à Berthe, à Suzanne, à Lili, et à tous les autres... Sébastien regrettait de les avoir méprisés. Il se sentait loin d'eux. Il avait une telle envie de les serrer dans ses bras qu'il se mit à pleurer, pleurer, pleurer.

    Il prit la décision de rentrer chez lui dès le lendemain.

    « Tant pis pour Madame Laterre : elle terminera la course seule ! ». Il creusa un nid dans la neige et s'y blottit. Il se sentait heureux. Sa tête était plus légère et, dans sa poitrine, quelque chose qu'il n'avait jamais ressentie auparavant le faisait sourire.

    Quand Sébastien se réveilla, tout était vert ! Il mangea des baies, but l'eau du ruisseau, remplit sa gourde et se remit en route. Quand il se retrouva devant la mer, il refit un petit radeau et rama, rama, rama... Puis il courut, courut, courut jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus.

    Un jour enfin, il arriva chez lui. Épuisé mais heureux. Les autres animaux furent étonnés de retrouver un Sébastien tellement différent. Mais ils ne dirent rien. Ils firent la fête. Une belle fête.

    Ce soir-là, Sébastien alla se coucher au bord du ruisseau.

    « Madame Laterre, êtes-vous là ? » appela-t-il.

    « Je suis là », répondit une voix profonde.

    « Merci pour ce merveilleux voyage... ».

    Et Sébastien s'endormit en souriant, avec des rêves jusqu'au ciel.



    Anne-Catherine De Boel

    La Course de Sébastien

    Paris, l'école des loisirs, 2002

     

    HISTOIRES À FAIRE RÊVER.

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